MAI 2001- MARS 2016
Issoufou - Amadou
Trois décennies d’histoire commune
Les deux hommes s'affrontent le 20 mars au second tour de la présidentielle nigérienne. Un épisode de plus dans leur longue histoire commune.
Le temps des ambitieux
À la fin des années 80 et au début des années 90, les deux hommes se distinguent peu à peu par leur capacité à représenter l’avenir de la scène politique. Ayant fait ses armes à la préfecture à Agadez, Zinder puis Tahoua, et à l’Office de radiodiffusion du Niger, Hama Amadou devient directeur de cabinet de Seyni Kountché puis, au décès de ce dernier, d’Ali Salibou, dont il devient le ministre de l'Information jusqu’en décembre 1989. Représentant du Mouvement nigérien pour la société du développement (MNSD) lors de la concertation nationale souveraine de 1991, alors qu’Ali Salibou est contraint d’accepter le multipartisme, il est en quelque sorte le porte-parole du pouvoir en place.
Face à lui, lors de ces joutes oratoires, des opposants issus des mouvements estudiantins et syndicaux, dont Mahamadou Issoufou. Celui-ci vient de créer, fin 1990, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS). Il est à un tournant de sa carrière : ancien directeur national des mines de 1980 à 1985 puis cadre de la Société des mines de l'Aïr (SOMAIR, filiale d'Areva), il en a démissionné pour se lancer en politique. L’histoire du couple Mahamadou Issoufou-Hama Amadou vient de commencer.
Chassé-croisé à la primature
Au tournant des années 90, alors que le Niger se construit sur la base de la conférence nationale souveraine, Mahamadou Issoufou et Hama Amadou vont gravir les échelons en s’arrêtant tous deux à l’avant-dernière marche, celle du poste de Premier ministre.
Député de Tahoua, Issoufou se présente à la présidentielle de 1993. Il finit à la troisième place, celle du faiseur de rois. Celle du futur Premier ministre aussi : il est nommé à ce poste par le président Mahamane Ousmane, tombeur de Mamadou Tandja au second tour. Sa présence à la primature ne durera pas. L’Alliance des forces du changement (AFC), qui a porté Ousmane au pouvoir, vole en éclat. L'Assemblée nationale élue en février 1993 est dissoute en octobre 1994, alors que Issoufou a démissionné de la primature fin septembre.
Ses successeurs : Souley Abdoulaye, pour quatre mois, Amadou Boubacar Cissé, pour treize jours et... Hama Amadou. Alors que l’opposition a viré en tête des législatives du 12 janvier 1995, et que le MNSD obtient 29 députés, « Hama » accède donc lui aussi à la primature. De son côté, Mahamadou Issoufou accède au perchoir et devient président de l’Assemblée nationale. Ils resteront à leur poste jusqu’au coup d’État d’Ibrahim Baré Maïnassara, chef d'état-major de l'armée, le 27 janvier 1996.
Face à Baré
Alors qu’ Ibrahim Baré Maïnassara se fait élire président, dans une élection truquée qui voit Mahamane Ousmane prendre la deuxième place devant Mahamadou Issoufou, la classe politique nigérienne se redessine. Bilan : Mahamadou Issoufou et Hama Amadou se retrouvent dans le même camp, celui de l’opposition, au sein du Front pour la restauration et la défense de la démocratie (FRDD), regroupant tous les partis et associations hostiles au régime.
Hama Amadou va le payer d’une dizaine de jours de détention dans les locaux du Centre de documentation d’État, la police politique. Le président Ibrahim Baré Maïnassara finit toutefois par être renversé par l’armée, dont il a peu à peu perdu le soutien. Il est assassiné par les membres de sa garde personnelle. Le commandant Daouda Mallam Wanké, chef de la junte, annonce alors vouloir rendre le pouvoir aux civils, via l’organisation d’élections générales en novembre 1999, et il crée un Conseil consultatif national. Au sein de celui-ci : Mahamadou Issoufou et Hama Amadou.
Pro et anti-Tandja
En 1999, Mahamadou Issoufou en est déjà à sa troisième présidentielle. Il se présente en chef de file de l’opposition à l’ancien président Mamadou Tandja. Dans le camp d’en face, Hama Amadou, secrétaire général du bureau politique national et président de la section MNSD de Niamey. Issoufou accède au second tour où il ne rassemble que 40% des voix. Un progrès indéniable, qui n’empêche pas l’accession de Mamadou Tandja à la présidence.
Hama Amadou retrouve de son côté la primature le 3 janvier 2000. Il y restera jusqu’au 7 juin 2007, une longévité record à ce poste, et ce malgré les attaques des députés de l’opposition, Mahamadou Issoufou en tête en tant que chef de file de l’opposition réunie au sein de la Coordination des forces démocratiques (CFD). Ceux-ci finiront d’ailleurs par avoir la tête du Premier ministre.
Le 31 mai 2007, une motion de censure, motivée par des affaires de détournement de fonds publics touchant des personnalités proches du gouvernement, est déposée. Hama Amadou démissionne. Il finit même par être emporté par les accusations de détournement. Ce qu’il ne pardonnera pas à Mamadou Tandja : Hama Amadou devient l’un de ses opposants.
Unis contre le Tazarché
Contre toute attente, Mamadou Tandja va réunir dans son opposition Mahamadou Issoufou et Hama Amadou. Suite aux accusations de détournement, ce dernier est arrêté et emprisonné le 21 février 2009. Bien qu’ayant bénéficié d'une remise en liberté provisoire le 26 avril 2009, puis d'une ordonnance de non-lieu en 2012, Hama Amadou perd alors les rênes du MNSD, au profit de Seini Oumarou, nouveau bras-droit et Premier ministre de Mamadou Tandja.
Il crée alors un nouveau parti politique, le Moden-Fa Lumana, dont il prend la présidence. Un temps en exil à Paris, il y croise alors régulièrement son meilleur ennemi, Mahamadou Issoufou. Ensemble, ils organisent la fronde face à Mahamadou Tandja, qui tente de se maintenir au pouvoir pour un troisième mandat (le Tazarché, « continuité » en haoussa) par un référendum constitutionnel. Ensemble, ils applaudissent le coup d’État de Salou Djibo, du 18 au 23 février 2010, qui renverse Tandja.
Le face à face (1)
Alors que Salou Djibo prend ses fonctions de président par intérim, une nouvelle présidentielle se profile. Une nouvelle fois, le temps est venu pour les deux hommes de se confronter. Le duel ne dépassera cependant pas le premier tour. Alors que Mahamadou Issoufou vire en tête, Hama Amadou se classe troisième, derrière Seini Oumarou.
Le candidat du Moden doit donc choisir entre son vieux rival et celui qui lui a ravi la tête du MNSD, considéré comme l’héritier de Mamadou Tandja. Son choix est fait : il négocie un ticket pour cinq ans, faisant de Mahamadou Issoufou le chef de l’État tandis que le poste de président de l’Assemblée nationale lui revient. Le palais contre le perchoir. Un mariage de raison que chacun sait provisoire.
La rupture
Début 2013, l’alliance entre Hama Amadou et Mahamadou Issoufou commence à battre de l’aile. Le second soupçonne en effet le premier de se rapprocher de l’opposition, du MNSD et de Seini Oumarou. Les journaux favorables à Hama Amadou se font quant à eux de plus en critiques à l’égard du pouvoir.
Petit à petit, la rupture se consomme : afin de couper l’herbe sous le pied du président de l’Assemblée nationale, le président de la République mandate ses deux lieutenants, Hassoumi Massaoudou (son directeur de cabinet, devenu ministre de l’Intérieur) et Mohamed Bazoum (alors ministre des Affaires étrangères), pour entamer des négociations secrètes avec le MNSD, afin de former un gouvernement d’union nationale.
Si un accord est trouvé, le parti de Seini Oumarou se rétracte cependant au dernier moment. Trop tard : entre Mahamadou Issoufou et Hama Amadou, en août 2013, le divorce est consommé. Au courant des manœuvres en cours, le président de l’Assemblée nationale décide que son parti doit quitter le gouvernement. Il entre officiellement dans l’opposition et rejoint, en octobre, l’Alliance pour la République, la démocratie et la réconciliation (ARDR), malgré plusieurs défections dans ses rangs. En ligne de mire : la présidentielle de 2016, à laquelle Mahamadou Issoufou compte évidemment se présenter.
Le temps des juges
Hama Amadou s’est-il lancé trop tôt dans la course à la présidentielle 2016 ? Sans doute. D’autant que la justice va rapidement contrecarrer ses plans. Le 22 mai 2014, le siège du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), le parti du président, est attaqué au cocktail Molotov. L’un des trois blessés est gravement brûlé. La police interpelle alors une quarantaine de militants du Moden-Fa Lumana, dont le propre fils d’Hama Amadou, Ismaël, qui sera libéré.
En juin 2014, nouveau coup dur familial. Dix-sept personnes sont inculpées de « supposition d'enfants », « faux et usage de faux » et « déclaration mensongère » dans une affaire de trafic de bébés entre le Niger, le Bénin et le Nigeria. Parmi elles, la propre femme d’Hama Amadou, qui se retrouve impliquée.
S’il dénonce dès juillet une affaire politique, le président de l’Assemblée nationale va subir de plein fouet le scandale. En août, les députés autorisent la levée de son immunité parlementaire. Dans la foulée, il fuit à l’étranger, direction la France, via le Burkina Faso et dit adieu au perchoir. Un mandat d’arrêt est émis contre lui, comme le confirme son avocat le 29 septembre 2014. Pour Hama Amadou, la route vers le palais présidentiel semble barrée par la justice.
Le face à face (2)
Persuadé que son rival, Mahamadou Issoufou, utilise la justice nigérienne pour l’éloigner de la présidentielle, Hama Amadou ne désarme pas. Depuis son exil français, il multiplie les attaques, auxquelles les bras droits du président ne se privent pas de répondre. Le chef de l’État, de son côté, se borne à répliquer qu’il n’a rien à voir dans les déboires de son rival.
Hama Amadou se retrouve face à un choix, alors que la présidentielle approche : mettre fin à son exil, et s’exposer à une arrestation dans l’affaire de trafic de bébés, ou le prolonger pour échapper à la justice. Le 15 novembre 2015, il embarque finalement dans un avion à destination de Niamey. Son espoir : susciter l’engouement des foules afin de mettre la pression sur la justice nigérienne. Las, le pouvoir a veillé à boucler les environs de l’aéroport. Et ce sont des gendarmes qui l’accueillent alors que la porte de l’appareil s’ouvre.
Conduit en détention à Filingué, à 180 kilomètres de Niamey, officiellement pour sa sécurité, l’ancien président de l’Assemblée nationale vit sa deuxième détention dans une prison nigérienne. De sa cellule, il officialise sa candidature à la présidentielle dont, bien qu’empêché de faire campagne, il parvient à atteindre le second tour.
Et maintenant ?
Alors que l’instruction de son dossier est officiellement toujours en cours, Hama Amadou a tenté de mettre, depuis sa cellule, ses troupes en ordre de bataille. Ayant reçu le soutien d’une coalition de l’opposition, dont Seini Oumarou, qui lui avait succédé à la tête du MNSD, il espère encore pouvoir faire pencher la balance de son côté, malgré les pronostics favorables à Mahamadou Issoufou.
Il est toutefois trahi par son propre corps : diminué par des ennuis de santé, il est évacué, le 16 mars 2016, vers l’hôpital américain de Neuilly, près de Paris. Un voyage retour vers sa terre d’exil qui a tout d’un aveu de défaite, à la veille du second tour du 20 mars. Une nouvelle fois, l’avenir s’est obscurci pour Hama Amadou, dont beaucoup estiment que 2016 était la dernière chance d’accéder au sommet de l’État. Mahamadou Issoufou, lui, voit son deuxième mandat lui tendre les bras.
CRÉDITS
Une timeline de Mathieu Olivier
Code: Jean Abbiateci et Libédata
Iconographie: Mathieu Olivier
Photos: AP/SIPA/AFP